A Montigny-le-Tilleul, à deux pas de Charleroi, la galerie Ephémère présente “Eléments d’un regard”. L’exposition d’une jeune femme à la sensibilité extrême. Presque fragile, le sculpteur Anne Jones jongle avec les formes pures, minimales. Le triangle, le carré vibrent et deviennent ensorcelants. Au toucher, les œuvres d’Anne Jones bougent délicatement. Dans ces pièces. elle a choisi d’utiliser des matériaux d’allure plutôt imposante. Le bois travaillé à la limite de la perfection poussée toujours plus loin. Le granit taillé finement. Anne Jones donne une force douce à ses pièces qui vivent en parfaite géométrie, sans décalage. Elle recherche le juste détail. Les couleurs restent sombres. Anne Jones le souligne elle-même. Le noir n’est pas noir, le carré est sombre et le sombre et clair. On ne reste pas non plus un simple spectateur immobile devant ses sculptures. Le visiteur devient acteur. L’artiste a prévu sa participation active à un jeu « léger » à l’aide de boîtes qui lui permettent de manipuler les géométries. Le mystère reste alors à moitié ouvert ou à moitié fermé. L’acteur fait ainsi apparaître ou cache une face de l’élément du regard. Le verre laisse transparaître certaines touches du marbre. Rien n’est anodin, rien n’est laissé au hasard. Des tiges métalliques transpercent le cœur de deux triangles. Pour Anne Jones, c’est la « rupture ». À l’entrée de la galerie, l’une des premières œuvres de l’artiste marque son évolution. Il s’agit d’un bas-relief qui se compose de carrés. Ceci s’intervertisse au gré de l’humeur fantaisiste du visiteur. Jusqu’au moindre détail, des lois policées aux vitres créées de ses mains, ce sculpteur suggère, glisse dans la sensibilité, parfois dans un climat tendu. Au visiteur curieux de se libérer mais sans se précipiter
C’est une invitation à regarder des formes simples et à jouer avec leurs multiples variations. Anne Jones utilise le carré et le triangle comme formes élémentaires, la pierre (pierre de Mazy, notamment), le bois et le fer comme matériau pour construire ses sculptures.
L’artiste définit ses intentions de la manière suivante : « Le regard de l’homme d’aujourd’hui peut se sentir agacé, tourmenté, agressé par une multitude d’images chocs. Ces stimuli visuels excessifs peuvent avoir pour effet l’anesthésie de son regard. Et pourtant, l’homme recherche la paix, le calme et la sérénité. Il peut être utile de rendre au regard sa conscience et sa convivialité (…) ». Cette conversion de notre regard, Anne Jones l’entreprend de manière systématique et rigoureuse. Formes élémentaires, couleurs sombres, matières sobrement travaillées offrent à la perception du spectateur de quoi éveiller en lui une émotion esthétique. L’œuvre se dévoile à celui qui prend le temps de l’analyser.
La Galerie Éphémère à Montigny-le-Tilleul accueille ce mois-ci une jeune femme sculpteur, Anne Jones, pour quelques éléments d’un regard et une seconde exposition personnelle. Et le regard est sensible, jeu de la transparence et de l’opacité, de l’angle et du prisme, de la surface à la couleur minimale. Profondes et sereines surfaces de pierre de Mazy, grilles aux vibrations tactiles, totems ou longs réceptacles de métal à l’emblème du marbre ou de la pierre, jeux obliques de surfaces sombres, les sculptures de Anne Jones ne piègent pas le regard, elles obligent à chercher au fond des miroirs, à quêter le point de fuite de l’indicible, à traverser les surfaces sans jamais les contourner. Une expression sobre, mais déjà puissante et délibérée, Rien ici n’est laissé au hasard.
Sensibilité, patience, Anne Jones nous propose dans cette attitude, une méditation visuelle basée sur l’observation réfléchie. Sa démarche, géométrique, aux variations multiples nous ouvre des approches infinies. Un art qui réveille la réflexion, l’analyse et l’émotion… une poésie opposée aux perceptions, au survol trop rapides.
Tout le travail d’Anne Jones émoustille la perception et la curiosité du spectateur. A travers une utilisation apparemment simple de matériaux bruts, le sculpteur interroge notre regard et interpelle nos mécanismes perceptifs. Mais qu’on ne s’y trompe pas : derrière cette fausse simplicité se cache toute une recherche voulue et consciente sur les formes, triangle-carré, ainsi qu’un système référentiel basé sur les mathématiques et plus particulièrement le nombre d’or. Tout est soigneusement calculé, mais sans pesanteur. Anne Jones met le même soin dans le traitement du verre, du bois. du marbre et de la pierre bleue. Car la matière sert aussi le propos interrogatif qui comporte également une dimension ludique.
L’occulté est toujours présent.
Des cercueils de bois noir, longilignes, con1iennent des fragments de pierre bleue empalés sur une tige métallique, reposant sur une plaque de verre. Le caillou taillé en triangle et gravé est posé dans son écrin que deux planches peuvent clore. Mais la fermeture n’est jamais complète. Une fente appelle le regard. Trois plaques de verre enserrent un triangle de bois peint du vert qui correspond exactement à celui du reflet du soleil lorsqu’il traverse la tranche des trois vitres. Des carrés de marbre noir jouent du recto et du verso. Rien n’est laissé au hasard dans cette sçulpture au dit fondamentalement réfléchi, mais qui laisse filtrer une sensibilité à fleur de peau et appelle la caresse d’un regard.
Anne Jones, pour sa deuxième exposition en solo, approfondit sa quête très épurée. Équation poétique où l’esprit de géométrie et l’importance des transparences, des semis-occultation aiguisent notre regard et nous proposent des versions plurielles. Les œuvres occupent l’espace, de façon sobre, en horizontalité ou en verticalité.
Une série de pierres polies, au centre carré doucement martelé, gravé, connaissent la pose d’un écran de verre translucide. Et la netteté symétrique possède ainsi également une lecture plus floue, plus rêveuse. Signe qu’on devine dans une brume irisée.
En verticalité, les travaux d’Anne Jones imposent avec rigueur une haute tension sensible. Totems minimalistes. Tiges de fer dressées captant l’éclat du marbre. Hauts prismes noirs de bois recueillant l’accent aigu d’acier qui met en exergue une pierre taillée, sœur des silex préhistoriques.
Et plusieurs stratégies d’approche se proposent à nous. Trilogie cohérente ou colonne autonome. Jeu du caché ou du dévoilé. Contradiction ou fusion du naturel et du mental.
Une autre sculpture loge entre ses parois de verre un triangle de bois sombre, aux traces vertes. Ici les reflets, les ombres, les scintillements opèrent. Et le ton vert de la tranche du verre inspire les traces dans le triangle aigu.
Anne Jones réconcilie les propositions vives de la raison et l’exigence émotionnelle. Elle nous suggère que toute chose, tout être irradie d’une richesse d’apparences multiples.