« Souffles d’ardoises »

Galerie Odradek
Rue Américaine, 35  –  1050   Bruxelles

8 Janvier - 6 février 2021

Anne Jones et la puissance tellurique des ardoises

Simone Schuiten
Publié en janvier 2021 (catalogue de l'exposition)

Catalogue de l'exposition

Souffle d'ardoise 4

Souffle d'ardoise 1

Souffle d'ardoise pour Pierre de rêve 2

Pierre de Rêve / Souffle d'ardoise pour Pierre de rêve 2

ODRADEK nous convie au dialogue qu’Anne Jones, depuis des années, développe avec la texture des pierres de schiste ardoisier.

Attentive et solidaire aux  métamorphoses successives de cette sédimentation naturelle qu’est l’ardoise, l’artiste récupère d’anciennes couvertures de toitures pour leur permettre de continuer à vivre.

Très tôt dans sa rencontre avec l’ardoise, Anne Jones a été saisie par le caractère animé et la dimension expressive de ce matériau gisant dans les containers des chantiers. L’artiste, en recueillant ces strates de schiste sorties du sous-sol pour être exposées aux tourments du ciel, restaure
les liens sensibles qui nous font co-exister avec elles.

Dans son atelier, en oeuvrant de concert avec ses ardoises, Anne Jones rencontre la nature inventive de celles-ci. Ce qui lui permet de percevoir, d’embrasser, d’incorporer et finalement d’intégrer une écriture-trace qui constituera la substance de son travail.

En tant que sculpteur Anne Jones se veut réceptive au mouvement, au rythme et à la dynamique qui ont constitué la pierre. L’artiste s’avère perméable à la nature du schiste qui s’exprime dans des formes visibles sur chacune de ses faces. Une liaison s’établit alors entre la force créatrice des sédiments transformés sous l’effet du métamorphisme et l’approche esthétique de l’artiste.
Les minces feuillets fissiles qui composent l’ardoise nous sont ainsi confiés en leurs qualités intrinsèques chargées d’histoires et de mystères.

En laissant l’ardoise s’adresser à elle, Anne Jones lui restitue ce qu’elle lui a donné. Elle a recueilli à bras-le-corps la manifestation de sa richesse intérieure, de sa force tellurique. Lors du sciage de la pierre, la matière minérale libérée est emportée par l’eau utilisée lors de la coupe et menée dans des caniveaux d’écoulement vers le bac de décantation. C’est en plongeant des papiers dans ceux-ci qu’Anne Jones recueille cette matière extraite, qui, en séchant, se réorganise, dévoilant alors la face cachée du schiste ardoisier, son intériorité, son ancestralité.
Alors les artistes, Anne Jones et l’ardoise, se rejoignent dans ce dialogue naturel où le souffle, c’est-à-dire l’énergie vitale des sédiments cristallisés, apparait sur le support papier.

L’exposition que nous propose Anne Jones porte uniquement sur la relation entre les dépôts de schiste sur les feuilles mises à leur disposition et l’ardoise dont ils proviennent. De part et d’autre apparaît un paysage composé de traces consubstantielles à la Nature. L’artiste, dit-elle, n’y est pour rien si ce n’est qu’elle a favorisé leur rencontre et réactivé notre regard.  Nous percevons alors des émanations du réel, des images écrites se produisant spontanément.

A l’instar de l’esthétique chinoise considérant que l’écriture en ses premiers signes provient du ciel et de la terre, nous comprenons visuellement notre réciprocité avec la Nature. Anne Jones, dans cet état d’esprit, nous introduit à
l’expressivité de ce monde où tout élément est animé par ce même souffle vital.

En Chine les pierres de Dali proviennent d’une roche calcaire métamorphisée. Appelées « pierre de rêve »,
« pierre graphique », « pierre paysage » ou encore « pierre de voyage » par les veines de leur marbre, elles révèlent un tracé sublime qui sert de modèle aux calligraphes et aux peintres. Elles sont collectionnées par des lettrés qui y ajoutent un poème afin de participer à leur tour au paysage. D’origine tellurique, elles nous rappellent notre appartenance à l’univers cosmique. Y correspondant encore, elles mettent en scène les souffles et énergies qui transforment le visible et l’invisible.

Le travail d’Anne Jones est proche de ce constat qui, pour elle, devient source d’interrogation et de possible.

"Souffles d'Ardoises"

Anne Jones
Publié en janvier 2021 (catalogue de l'exposition)

Pour approcher les « Souffles d’Ardoises », il me faut les replacer dans ce long cheminement d’observations, d’écoute et de respect que j’ai toujours eu face aux matériaux entrant dans mes sculptures.

Les ardoises, le métal, le schiste… tous auraient dû se retrouver en décharge si mon regard ne les avait pas croisés et si une complicité ne s’était pas directement établie entre eux et moi.

Tenir compte de ces matériaux de rebut, dont on dit n’avoir pas ou plus de valeur, et tenir compte de leur vécu permet de faire sentir l’humanité qu’il y a dans des choses parfois trop vite décrétées sans intérêt. Ce vécu peut être l’usage qui leur a été attribué ou la mémoire de la terre qu’ils portent en eux depuis des millénaires.

Cette découverte a pris corps alors que j’étais en carrière pour réaliser le découpage de trois blocs de schiste ardoisier qui devaient entrer dans ma sculpture « Stances d’ardoises » pour un parc à Louvain-la-Neuve.
Chaque bloc devait être découpé pour arriver à une forme arrondie et cela a donc demandé de nombreux traits de coupe et plusieurs jours de
mise en œuvre.

Pendant ce long travail de découpage, mon regard fut attiré par l’eau de sciage qui giclait sur le mur, face à la scie, avant de s’écouler dans des caniveaux vers les bacs de décantation. Cette eau charriait la matière retirée du schiste ardoisier par la scie, donnant à voir une eau grise parcourue par des traces noires ondulantes. Et je trouvais cela beau. J’en fis part au technicien qui, lui, n’y voyait que de la boue… Mais à mes yeux, quelle belle boue!

De cette observation me vint l’envie de plonger, dans ces caniveaux, des papiers aquarelle. Ce que je fis le lendemain, et ces papiers se chargèrent des résidus de la matière ardoise. Quand je les trouvais suffisamment couverts et gris, je les retirais de l’eau. Une fois tous utilisés.je les conduisis à l’atelier pour les mettre à sécher.

Et c’est le lendemain matin que le choc eut lieu, car, en séchant, la poussière d’ardoise, le sédiment constitutif de l’ardoise, véhiculé par l’eau et
déposé sur les papiers, avait migré ne donnant plus à voir une surface uniformément grise, mais des paysages de brume, de montagnes, de mers agitées rappelant les grisailles de certaines peintures chinoises…

Mon émerveillement devant cette transfiguration ne s’arrêta pas là, car mon regard se posa alors sur les surfaces d’ardoises gisant au sol dans l’atelier. Et ce fut le choc, car je réalisai que ces « images » découvertes sur les papiers aquarelle se retrouvaient aussi sur les surfaces de clivage de l’ardoise. Ma réaction fut immédiate : l’ardoise aurait-elle de la mémoire ??? Et cette interrogation m’apparut incontournable car se retrouvait sur les papiers le constituant de sa matière. Et la question de la mémoire de la terre enfouie dans ses strates se posa de façon évidente.

Ces papiers devenaient l’expression du « souffle indistinct » de l’ardoise, de la réminiscence de son ancestralité, un peu comme chaque être humain portant en lui la trace de ses ancêtres.

Et de cet émerveillement devant ce que la nature avait bien voulu m’offrir sont nés les
« Souffles d’Ardoises ».

Pour concrétiser tout cela il me restait à assembler, à faire correspondre, les « images » apparues sur les papiers et celles présentes sur les surfaces des ardoises..

Et ce travail va peu à peu me conduire vers une autre recherche qui est celle de la façon de donner à voir la densité, l’intériorité et la musicalité de l’ardoise. Car il y a dans cette matière une forme de musique silencieuse qui se donne à voir dans la vibration de ses chants acérés.

Souffle d'Ardoise mural VI

En carrière

Souffle pierre de rêve 12

Souffle d’ardoise 16

Anne Jones

M. C.
Publié en janvier 2021 (catalogue de l'exposition)

Vue de l'exposition

Après des études universitaires en biologie, Anne Jones se tourne vers les Beaux-Arts.
Ce sera d’abord le dessin qui occupera ses années de formation.
Puis viendront des années de questionnements où la peinture, la haute lisse et la sculpture seront abordées.
Ce sera finalement la sculpture qui s’imposera à elle, pour« ce contact direct des mains avec  la matière ».

Dès le début se posera très vite, pour elle, la question du regard posé sur les choses et surtout comment laisser exister la variabilité de celui-ci en fonction des humeurs de celui qui regarde mais aussi en fonction de l’ambiance qui règne autour de ce qui est regardé…. Et donner ainsi une existence humanisée à la sculpture.

Cette préoccupation la mènera à créer des formes simples, basées sur des symboliques ancestrales qui, faisant ainsi référence à notre acquis culturel, permettent l’expression de cet espace de liberté visuel où chacun peut y inscrire son propre imaginaire.

La forme n’est donc jamais narrative ni déterminée pour elle-même mais uniquement pour donner existence à et sublimer la matière.

Ainsi prend forme tout un travail où abstraction et symbolique sont intimement liées : ce « symbolisme abstrait » lui permettant d’inscrire dans ses sculptures des notions telles que la convivialité, le silence et/ou le temps.